Bulletin 8-9 / Août 1997

Un soldat de fortune appelé sous les drapeaux

"Un soldat de fortune appelé sous les drapeaux"

Article paru dans le FALL RIVER EVENING NEWS du jeudi 6 août 1914 - Fall River, Massachussetts, USA

Envoi de Joseph McAleer, petit-fils du Capitaine Perrenod.
Traduit de l'anglais par Odile Borgvang-Borel

Le capitaine Albert Perrenod, résidant en notre cité, a mené sa vie comme un roman fiction…

Actuellement, il attend un ordre de marche pour retourner en Suisse, lui qui a participé aux révolutions sud-américaines et s’est distingué dans la recherche scientifique.

Un soldat de fortune est un homme qui, partant du grade le plus bas, s’engage avec courage à participer à tout combat s’offrent à lui et arrivant, grâce à sa bravoure, au plus haut grade possible. Donc, un soldat de fortune, dans le meilleur et le plus juste sens de ce mot, c’est notre capitaine Perrenod qui attend chez lui, en notre ville, l’ordre de marche qui l’appellera sous les drapeaux de son pays la Suisse. Après avoir combattu sous les pavillons de si nombreuses nations, il retournera dans son pays natal, avec sa femme et deux enfants, prendre part au monstrueux conflit européen. Il y a peu, il a reçu des instructions de la légation suisse à Washington D.C., pour se tenir prêt à partir.

Quoique le capitaine Perrenod ait été résident de Fall River depuis peu de temps, il avait déjà conquis beaucoup d’amitiés. Il avait gagné une réputation nationale en se distinguant quelques semaines auparavant par la publication d’un démenti public dans l’un des journaux new-yorkais sur les assertions du colonel Roosevelt au sujet d’une prétendue découverte de la Rivière du Doubt (sic). Il avait été horloger dans cette cité ainsi qu’à New Bedford pendant les dix dernières années.

Le propre père du capitaine Perrenod avait, il y a exactement quarante-quatre ans aujourd’hui, répondu à l’appel de sa patrie, tout comme son fils aujourd’hui. En qualité d’officier du 23ème régiment (bataillon) de Neuchâtel, il combattit sous les couleurs de sa municipalité. La mère du capitaine Perrenod, née Montandon, vit toujours en Suisse. Elle est la nièce de Louis-Edouard Montandon (1811-1890), L’un des signataires de la Déclaration d’indépendance du canton-principauté de Neuchâtel du 1er mars 1848 (sic) qui se sépara de la Prusse et fût admis au sein de la Confédération helvétique.

De sa vie de « soldat de fortune », le capitaine Perrenod fit une carrière aussi aventureuse et des expériences aussi passionnantes que celles d’un personnage de roman d’aventures.

Il est né aux Ponts-de-Martel, dans le canton de Neuchâtel en Suisse, le 6 avril 1868, fils de Luc Perrenod et de Lucie Adèle Montandon. En 1880, il entra au Collège de Vevey (Suisse), servant pendant deux ans dans l’infanterie du corps des Cadets du Collège et, durant un an, dans son artillerie.

Des périodes supplémentaires d’instruction militaire suivirent à Yverdon, (Vaud, Suisse) en 1884 puis, en 1885, lors des tensions entre la France et l’Allemagne, il résida à Anor (département du Nord, France), près des frontières belge et luxembourgeoise.

A l’âge de dix-neuf ans, il embarqua pour la République argentine et en 1886 il fut engagé dans une expédition d’exploration en Patagonie et dans les Andes. Il passa l’année 1886 à aller et venir à Uspalata, dans les chaînes Andines. L’année suivante il résidait à Mendoza, à Saint-Louis et à Rio Quarto, en Argentine de l’Ouest. Cependant, l’année suivante, il traversa à nouveau l’Argentine et explora la rivière Uruguay, le Territoire de Missiones ainsi que le Parana. Les quelques années qui suivirent le trouvèrent très lié à la vie des districts qu’il traversait. Il était arrivé au Paraguay par l’Est en 1883, se rendit à Villa Rica à cheval et à Assuncion par le rail. Lorsque l’une de ces fréquentes révolutions sud-américaines éclatait, il devenait officier de l’armée révolutionnaire du Paraguay. Ce fut lors d’un engagement de cavalerie au cours de l’une de ces batailles révolutionnaires qu’il fut sérieusement blessé. Une balafre qu’il avait reçue au cours d’un duel à l’épée et dont la cicatrice témoigne qu’il réchappa de justesse au coup porté mais qui, cependant, ne laissa pas à son adversaire de quoi se rappeler le combat, vu qu’il tomba sous le fer de Perrenod.

A peine la révolution au Paraguay terminée, le capitaine Perrenod s’enrôle comme officier dans l’armée brésilienne. En 1889 il se joint à un détachement de militaires de carrière au Matto-Grosso et participe à l’exploration de ce pays, H revint à Rio de Janeiro par Assuncion et Buenos Aires, échappant à une épidémie de fièvre jaune qui se répandait à Santos et à Rio en ce temps-là.

L’instinct qui le poussait, cette humeur vagabonde, montre à l’évidence la force intérieure qui le faisait partir à l’aventure, aventure des explorations. C’était sa passion de voir et connaître de nouvelles choses qui le conduisit à gravir le Desterro sur l’île de Santa Catarina et à explorer les provinces de Rio de Janeiro et de Minas Gérais à la recherche des sources de la rivière Parana.

A Parahiba do Sul il fut le témoin de l’abolition de l’esclavage et participa à la rébellion des Noirs contre les Blancs, La révolution de Rio de Janeiro, ou Révolution brésilienne, par laquelle don Pedro fut rendu au Portugal et la république proclamée le compta parmi les participants actifs et ce n’est pas avant que cessent les troubles qu’il part pour l’Amazone, Para puis Manaos.

Durant peu de temps le capitaine Perrenod réside à Trinidad puis à La Barbade, mais revient à Para pour devenir officier auxiliaire et interprète dans la Marine brésilienne, devenant par la même occasion l’attaché spécial de l’amiral Honorio Custodio de Mello à bord du vaisseau amiral Aquidaban.

En 1891, le capitaine Perrenod s’installe à Saint-Pierre de la Martinique, où il se distingue pendant le cyclone du 18 août, venant en aide aux sinistrés. Il fonda un observatoire astronomique et météorologique à Saint-Pierre, faisant usage de ses connaissances scientifiques et, revenant à son premier métier d’horloger, employa son talent pour régler les chronomètres de marine des navires de toutes nations faisant escale au port.

Lorsque de nouveaux gisements d’or furent découverts dans les territoires contestés entre la Guyanne française et le Brésil, le capitaine Perrenod conduisit la seconde expédition partie de Saint-Pierre, Cette mission fut un succès et le capitaine Perrenod établit la première carte de la zone aurifère de la rivière Carsewene sur Cayenne en 1894.

Il développa ensuite l’importance de son observatoire de Saint-Pierre et procéda à une étude spéciale des formations cycloniques dans l’atmosphère, des mouvements sismiques et de la physique du globe grâce à ses observations du Mont Tricolore et de la Montagne Pelée, en 1895 et en 1896, De 1897 à 1898 il attira l’attention du monde scientifique par ses observations de l’étoile Mira-Citi ainsi que par un apport précieux à la connaissance du soleil, travaux qui lui valurent son admission à la Société astronomique de France ainsi qu’à la Société astronomique du Pacifique de San Francisco. Son œuvre, durant cette partie de sa vie, fut entièrement vouée à la science. Il était correspondant de l’Observatoire du Harvard Collège de Cambridge pour 1897 et, en 1898, correspondant du Bureau météorologique des Etats-Unis à Washington D.C., ainsi que pour l’Office hydrographique de la Marine américaine à Washington pour 1897, 1898 et 1899.
II fut élu membre de la Société d’astronomie de Paris en 1898 et de la Société belge d’astronomie de Bruxelles la même année. Il devint également membre de l’institut Smithsonian, de l’Alliance française et de la Ligue française de l’Enseignement, etc.

Lors du cyclone de septembre 1898 sur la Martinique, le capitaine Perrenod accomplit à nouveau de signalés services et ces troubles atmosphériques importants devinrent pour lui le sujet d’un ouvrage de sa plume : Un observatoire à la Martinique. Il détermina aussi avec précision l’altitude de la Montagne Pelée, prenant en considération toutes les données connues alors sur la détermination des altitudes, en admettant toutefois des différences entre elles en raison des courants aériens demandant des corrections : températures changeantes, etc. Le capitaine Perrenod est le seul, si l’on excepte Birol de La Pomeraye, qui fut tué lors de la destruction de Saint-Pierre, à survivre à l’éruption tragique de la Montagne Pelée. Ils étaient tous deux « amoureux de cette montagne », passant parfois la nuit à son sommet.

Grâce à sa très grande connaissance de l’Amérique « espagnole » ainsi qu’à ses liens d’amitié avec le consul d’Espagne en Martinique, le capitaine Perrenod joua un rôle important dans la guerre de 1898 qui opposa l’Espagne aux Etats-Unis. Ses sympathies allaient naturellement à l’Espagne et, du haut de son observatoire de Saint-Pierre, il fut le premier à se rendre compte de l’approche de la flotte de Cadiz dans les eaux des Caraïbes à l’ouest de la Martinique-et loin au large de Fort de France. Restant en liaison constante avec son ami le consul qui lui, de son côté, était aussi la seule personne capable de maintenir le contact avec la flotte par-dessus les torpilleurs de l’amiral Cervera. Ils étaient les deux « alliés » capable et seuls au monde à savoir que la flotte serait aux Caraïbes dans les trois jours. La flotte partit en fumée avant que le monde ne sut qu’elle arrivait en Martinique ! Bien que le capitaine Perrenod ait reçu des messages de toutes parts, en particulier des Etats-Unis, pour demander des informations intéressantes.

Le capitaine Perrenod fît remarquer au gouverneur de la Martinique que le Harvard du commandant Cotton abusait de l’hospitalité d’un port neutre, ce qui obligea le Harvard à quitter le mouillage de Saint-Pierre. Un fait qui le rendit extrêmement fier fut qu’il porta une dépêche codée de l’amiral de Manterola de La Havane au Terror, un torpilleur (destroyer contre-torpilleur) espagnol, ordonnant au Terror de rejoindre la flotte de l’amiral Cervera à Santiago. Le capitaine Perrenod représentait le consul dans sa fonction, l’officier espagnol étant malade. Le Terror passa deux fois les lignes américaines et fut l’un des seuls bâtiments espagnols à réchapper de la bataille de Santiago.

L’immense catastrophe qui survint en Martinique le 8 mai 1902 brisa presque le cœur du capitaine Perrenod. La destruction de Saint-Pierre dans l’éruption de la Montagne Pelée, qui fit 31 000 victimes, emporta tant de ses amis et anihila à tel point son œuvre à l’observatoire que cette ruine le laissa sans plus d’attache avec la vie. Il répéta souvent par la suite que, s’il avait été à l’observatoire au cours de la période précédant l’éruption, il aurait probablement prévu le danger se préparant à surgir du volcan et ainsi sauvé des vies.

Après la ruine de ce qu’il avait construit à Saint-Pierre, le capitaine Perrenod prit de moins en moins d’intérêt aux choses de la science et du militaire. En 1905, il refusa l’offre du président Fhan Escurra du Paraguay d’un grade dans l’armée de ce pays. Il partit plutôt dans l’Ouest où, au Colorado, au Wyoming et au Missouri, il reprit de l’occupation dans les mines. Puis, dans le New Bedford, dans la ville du même nom où il avait repris sa profession initiale d’horloger, le capitaine Perrenod se retrouva parmi beaucoup d’amis qui lui souhaitent aujourd’hui un bon retour au pays.