Bulletin 24 / 2004

Mon bébé s'appelle Porsche

par Florence Duarte

Lors de l’installation du cigarettier Philip Morris en Afrique de l’Ouest, à la fin des années 70, on avait vu quelques nouveau-nés affublés du prénom «Marlboro». Les géniteurs concernés, Sénégalais surtout, pourraient se féliciter d’avoir eu vingt-cinq ans d’avance sur une tendance de la société occidentale: donner un nom de marque à sa descendance.

Les chiffres sont accablants: 6000 couples ont fait ce choix en l’an 2000. On décompte 298 Armani filles et 273 Armani garçons, 12 petites Dior, 24 Porsche (filles), 353 Lexus (filles), 7 Courvoisier ou 269 petites Chanel- auxquelles il faut ajouter toutes les variantes du style Shanell, Chanelle, etc. En tout, 5% des prénoms américains sont tirés de marques. Plutôt haut de gamme: on trouve volontiers des Clinique, Evian et Champagne, mais aucun Coca ou McDo.

Pour Elisabeth Tissier-Desbordes, professeur de marketing à l’European School of Management à Paris, spécialisée sur les comportements de consommation, ce phénomène traduit «l’entrée des marques dans la culture, dès les années 80». Par la littérature, d’abord, avec des auteurs (américains) comme Bret Easton Ellis ou Jay McInerney, le premier se spécialisant dans le name-dropping (American Psycho). Au même moment, les parents yankees, prioritairement issus des classes moyennes, prénomment leurs enfants J.R.,  Pamela ou Eden, en référence aux séries télé en vogue à l’époque. «Dans l’idée de transmettre à leur progéniture les valeurs du héros: beauté, richesse, puissance… »

De même aujourd’hui, les parents choisissent des noms de grande notoriété, qui font rêver, Cartier ou Chanel par exemple, avec cette volonté de «s’approprier la marque et d’en transférer les valeurs à son enfant» les déclinaisons d’orthographe relevant d’un désir individualiste de montrer que son gosse est différent, d’en faire un être unique. En Suisse, on continue de baptiser des Thomas et des Léa, premières places en 2002. Aux Etats-Unis, des gamines s’appellent Loreal. Parce qu’elles le valent bien.