Bulletin 25 / 2005

Les indiennes et les indienneurs

par Maurice Evard

A l’occasion de la soirée conférence organisée par la SNG, le 21 mars dernier aux Hauts-Geneveys, nous avons eu le plaisir d’entendre Maurice Evard nous parler avec enthousiasme de l’épopée neuchâteloise de la fabrication des indiennes. Nous vous donnons, ci-après un rapport succinct de son exposé hautement apprécié de ses auditeurs.

S’appuyant sur des diapositives, le conférencier retrace l’épopée de l’impression des toiles peintes dans le Pays de Neuchâtel. 

Après des dizaines d’années d’exportation, les Européens tentent de procéder eux-mêmes à la réalisation de ces cotonnades. Les premiers essais se déroulent à Chézard-Saint-Martin dans le Val-de-Ruz ; la famille Labran bénéficie des capitaux de Jacques De Luze,  arrivé de Saintonge en 1688, soit deux ans après la révocation de l’Edit de Nantes et un an après les mesures protectionnistes prises par Louis XIV visant à interdire la fabrication, la vente et l’achat d’indiennes. L’industrie va donc s’organiser aux frontières, soit en
Alsace, à Genève ou à Neuchâtel.

La technique à la planche gravée dans les bois d’arbres fruitiers posée sur le tissu appelle des compétences artistiques. L’origine des couleurs issues de végétaux locaux et exotiques, voire d’animaux (pensons à la cochenille) permet le développement d’essais multiples, progressivement remplacés par des substances chimiques de synthèse. Dans ce domaine, les travaux de Jean-François Persoz-Verdan sont déterminants.

L’impression à la planche cède la place à des machines, telles que la perrotine (en à-plat) ou les machines à rouleau qui offrent une impression en continu.

Cette industrie occupe plus de 2000 personnes en 1785, elle se développe tout particulièrement dans la Basse-Areuse (Boudry, Areuse, Cortaillod, Colombier), mais aussi à Couvet, Valangin, Marin, Cressier… Sur chacun de ces sites, on peut en voir des vestiges.

Des familles se sont engagées dans cette activité et offrent un champ d’investigation aux généalogistes : Labran, DuPasquier, Bovet, Borel, Chaillet d’Arnex, Gorgerat, Montmollin, Petitpierre, Sandoz, Vaucher, Verdan, etc. 

Nous aurons l’occasion d’y revenir.

La photo illustrant le texte est tirée du livre « Périple au pays des Indiennes » de Maurice Evard

Editions de la Chatière
Case postale 125
CH-2054 Chézard-Saint-Martin (Suisse)

Lettre de lecteur parue dans le bulletin 28

A propos des indiennes et des indienneurs

La lettre qui suit est de Monsieur Jean-Yves Barbier, membre de notre section.

Sa lettre contient des questions et des renseignements. En 2002, il a visité notre expo « généalogie à travers le Jura » à Couvet. Il habite 10 rue Dr Jean-Barbier à Sainte-Foy-lès-Lyon, France.

Ce sujet m’intéresse pourtant au plus haut point depuis que j’ai découvert que mon ancêtre Aimé BARBIER, maître teinturier indienneur à Heyrieux, village situé en Dauphiné entre Lyon et Bourgoin, était originaire de Boudry, étant fils d’Abraham BARBIER dit Pillot né à Boudry en 1745 et de Élisabeth GALLON de Chézard (alias Élisabeth Madeleine fille de Frédéric BERTHOUD dit Gallon).

Je suis parvenu à reconstituer une partie de sa généalogie. Son grand-père, un autre Abraham né en 1718, époux de Françoise Madeleine ECCOFEY était le fils de Guillaume BARBIER, fils d’autre Guillaume et de Madeleine fille de Guillaume SANDOZ.

Je me suis rendu dans la région de Boudry pour tenter de mieux connaître la terre de mes ancêtres et j’ai eu l’occasion de visiter le musée des indiennes de Colombier ou de me rendre sur le site de la manufacture d’indiennes de Grandchamp à Areuse pour mieux comprendre ce qu’était cette industrie.

J’ai eu l’occasion de consulter quelques ouvrages dont un livre de Dorette BERTHOUD où j’ai découvert l”interview” d’un des derniers indienneurs de Boudry , François BARBIER. Il était entré en 1868 comme cherche-planches à raison de 50 centimes par jour. Il y demeura jusqu’à la liquidation totale de la dernière fabrique.

“C’était à l’époque un vieillard de quatre vingt douze ans, mais bien valide et clair d’esprit”. “Rue Louis FAVRE il avait pignon sur rue.” Effectivement, en haut de la ville j’ai retrouvé ses descendants qui s’avèrent être des “cousins”. J’ai aussi appris que la  manufacture d’indiennes des Isles dite encore manufacture d’Areuse aurait été fondée vers 1727 par Henri SANDOZ, de Rosières. (fils du commissaire général Jean Jacques SANDOZ, seigneur de Noiraigue et receveur du Val de Travers, né au Château de Travers le 18 novembre 1694, marié à Marie de BONSTETTEN et père de Jean Jacques SANDOZ pasteur de Boudry en 1750.)

L’exploitation de cette manufacture était assurée par la société de commerce SANDOZ BARBIER et Cie.

En 1759 Henri SANDOZ s’associa avec Frédéric de MONTMOLLIN et Charles François de BARBIER sous la raison sociale SANDOZ MONTMOLLIN BARBIER et Cie.

J’ai établi que Charles François de BARBIER était le fils d’Abraham BARBIER époux en 1723 de Marie Barbe CHAMBRIER.

Abraham BARBIER dont je cherche à établir l’ascendance était un bourgeois de Boudry, enrichi du temps du banquier LAW (contrôleur général des finances du régent Philippe d’Orléans en 1720) dont QUARTIER LA TENTE, indique qu’il fit fortune au Mississipi, et qui fut receveur général de la ferme des tabacs à Paris. (A mon sens il pourrait avoir plutôt été un spéculateur avisé et heureux des actions de la Compagnie d’Occident émises pour mettre en valeur La Nouvelle Orléans et les nouvelles terres conquises à l’ouest du Mississipi, ceci avant la banqueroute de LAW.)

C’est lui qui en tous cas fit construire dès 1722 une belle maison au pied du crêt d’Areuse dont l’entrée occidentale porte, sculpté dans la pierre du fronton, le blason des BARBIER “de gueules à fasce d’or accompagné de trois croisettes du même, deux en chef et une en pointe” et dans le jardin de laquelle existe encore un bâtiment qui aurait été initialement un séchoir à tabac avant d’être reconverti pour sécher les toiles peintes.

Il acquît la bourgeoisie de Neufchâtel en 1724 et fut anobli par Frédéric Guillaume I le 28 juin 1727. Ses nouvelles armes confirmées par la lettre de noblesse étaient “de gueules à la bande d’or chargée de trois demi-vols de sable et accompagnées de trois croisettes du second, deux en chef et une en pointe. Elles étaient surmontées d’un cimier comportant un vol éployé de sable”. Il était membre du grand conseil de Neuchâtel en 1761 lors du second mariage de son fils Charles François avec Judith BRANDT après le décès en couches de sa première épouse Marianne DARDEL fille de Louis et Esabeau DARDEL survenu à la fin de 1759.

Notez que Marianne DARDEL était I sœur de Marie Alexandrine, l’épouse d’un Charles Guillaume de MONTMOLLIN, fils d’Emer et frère d’un Frédéric Guillaume dont je ne peux assurer qu’il ait un rapport avec l’associé de la compagnie SANDOZ MONTMOLLIN BARBIER. Je sais que la famille BARBIER était la famille bourgeoise de Boudry la plus nombreuse de la ville. Plusieurs de ses membres ont pu porter simultanément le même prénom d’Abraham et m’interroge sur le lien qui a pu exister entre mes propres ancêtres et les associés d’Henry SANDOZ.

Il est fort probable que ce lien, s’il existe soit assez ancien car lorsque mon ancêtre Aimé a quitté son pays vers 1816, c’est poussé par la misère très certainement induite par les pluies diluviennes et les perturbations climatiques de l’été 1816 qui sévirent en Suisse à la suite de l’éruption du volcan indonésien Tombora en avril 1815.

J’ai récemment appris que Louise Frédérique, fille aînée de Daniel VERDAN, commerçant indienneur à Grandchamp, (initiateur avec ROULET des techniques d’impression par cylindres ??) avait tenu, entre 1814 et 1817, un journal intime riche d enseignements sur la vie dans les fabriques d’indiennes. 

Je serais très curieux de savoir si cette jeune fille d’Areuse aurait consigné dans son journal quelques témoignages sur les conséquences sur la vie quotidienne et la vie économique de l’année 1816 connue parfois sous les noms évocateurs d’année sans été” ou “d’année de la misère” ou encore “année du cher temps”

Je vous remercie d’avance de l’attention que vous aurez porté à ce message et des informations ou des pistes que vous pourriez m’ouvrir pour poursuivre mes recherches.

PS Pour votre information j’ai retrouvé de nombreux ouvriers indienneurs venus du canton de Neuchâtel parmi les membres du personnel d’une manufacture d’indiennes établie à Vernaison au sud ouest de Lyon à la fin du XVIIIème siècle parmi lesquels j’ai bien sûr plusieurs BARBIER!

Jean-Yves Barbier