Bulletin 47 / Décembre 2012

Film sur la vie d'un horloger à la Chaux-de-Fonds en 1930 - Lundi 3 septembre 2012

notes de Françoise Favre

La soirée rassemblait 25 personnes à la Bibliothèque de la Ville de la Chaux-de-Fonds – Département audiovisuel (DAV) – où avait lieu la projection du film « La vie d’un horloger à La Chaux-de-Fonds ».

Nous avons été très chaleureusement accueillie par la responsable du DAV, Clara Grégory, qui nous a présenté son département et l’origine du film. La projection a été suivie d’un débat fort intéressant. Les personnes présentes ont apprécié de retrouver des lieux connus, de voir « comment c’était en 1930 » et de retrouver des souvenirs de ce que racontaient leurs parents. On s’est étonné de voir tant de monde dans les rues qui sont vides aujourd’hui ! Et dans les sociétés aussi (fanfare, gym…)…

A propos du film

Ce film, réalisé en 1930 par les organisations ouvrières neuchâteloises dans des conditions économiques et techniques difficiles, expose et révèle la situation des associations ouvrières en 1930. L’objectif est de démontrer les bienfaits du socialisme dans le cadre de la campagne pour la votation du 15 mars 1931 sur la participation des socialistes au gouvernement (l’initiative sera rejetée par le peuple comme elle l’avait été par le Grand Conseil).

Le film a été commandé par les institutions formant la « Trilogie horlogère » neuchâteloise, le Parti socialiste, les syndicats et les Coopératives réunies. Il a été tourné à La Chaux-de-Fonds et au Locle par le réalisateur Etienne Adler, un ressortissant hongrois résident à La Chaux-de-Fonds dont on ne sait pas grand chose sinon qu’il sera expulsé de Suisse en 1942. Le scénario est adopté en novembre 1930 et les acteurs de la « Théatrale ouvrière » sont invités à jouer les scènes de fiction.

Par la suite, le film n’a pas eu le succès escompté. Les bobines, rangées dans le grenier de la Maison du peuple de la Chaux-de-Fonds, seront finalement oubliées. C’est en 1884, à l’occasion d’une rénovation du bâtiment, que Raymond Huguenin, président de l’Union ouvrière, récupère in extremis de la benne où l’on évacuait les déchets de construction les 6 bobines et les déposeàà la Bibliothèque de la ville.

Grâce au fond réunis et à la grande compétence de Jean-Blaise Junod, le film a pu être restauré. On peut désormais le visionner dans la version originale de 1931 (plus de 2 h) ou dans une version abrégée sous-titrée et sonorisée (accompagnement de piano) de 45 minutes. C’est cette version courte que nous avons vue.

Description du film

(tirée de la fiche du DAV)

 

Le film se compose de 6 parties.

« Un dimanche en famile », chez Charles Jeanneret, vieux boîtier à la Chaux-de-Fonds nous introduit dans le salon qui est le point de départ d’un récit remontant au XIXe siècle. Les Rosselet, paysans aux Verrières et cousins des Jeanneret, sont en visite et Ch. Jeanneret leur raconte comment, issu d’une famille nombreuse, il a quitté son village de Travers pour entreprendre une carrière de boîtier à La Chaux-de-Fonds. Texte et images illustrent la précarité de la condition ouvrière. Une fois marié et père de famille, Ch. Jeanneret est confronté au chômage. « Mais depuis, on a fait des progrès, syndicalisme et socialisme ont gagné du terrain » s’enthousiasme-t-il. Au fil du récit apparaissent deux figures historiques du mouvement ouvrier : Pierre Coullery « le docteur des pauvres » et Charles Naine, dirigeant socialiste.

La deuxième et la troisième parties détaillent le fonctionnement des coopératives, les activités proposées par le Centre d’éducation ouvrière (conférence, voyages, etc.) ainsi que les moments passés en plein air avec les Amis de la nature.

La quatrième partie montre le fonctionnement de la Maison du Peuple et des syndicats. « Horlogers, que ferions-nous, pendant le chômage, sans nos syndicats ? » lance un des personnage. « Le socialisme nous aide à panser les plaies, à parer aux dangers et à construire notre bonheur. »

La cinquième partie revient sur les activités du Parti socialiste, à La Chaux-de-Fonds comme dans le reste de la Suisse (Fête de chant ouvrière à Berne, Fête fédérale de gymnastique ouvrière à Aarau, etc.).

La dernière partie débute par un dialogue entre Rosselet, le paysan, et le vieux boîtier. Comme le premier s’exclame : « Décidément, vous vous intéressez à tout, sauf au mal ! », son hôte lui conseille de lire « La Sentinelle » au lieu de cees journaux soi-disant neutres qui lui faussent les idées. Ce qui permet de décrire l’élaboration du quotidien, de sa conception à sa distribution, tout en suggérant les difficultés traversées.

Le film se termine par une injonction, entrecoupée d’images correspondantes : « Le peuple neuchâtelois a déjà accordé sa confiance au socialisme – mais quand tous, travailleurs des champs – travailleurs des fabriques – petits artisans – fonctionnaires – comprendrez que le socialisme, c’est plus de Justice, plus de Bien-être, vous voterez pour la liste Bleue et nous conquerrons le Château ! ».

Conclusion

Cette production illustre un usage militant du cinéma qui se dessine vers la fin des années vingt. La biographie fictive du vieil ouvrier horloger est prétexte à vanter les bienfaits du socialisme et des coopératives ouvrières. L’organisation des loisirs, la construction des logements sociaux, l’aide aux ouvriers (assurance accident, assurance chômage) sont présentées dans la bonne humeur, sans qu’il soit directement question de luttes ou de revendications.

La Sentinelle du 28 février 1931 nous apprend que les boîtiers, qui avaient assisté nombreux à la projection du film, furent surpris « par les favoris insolites » de l’acteur principal, que le journalisme qualifie de « digne d’un magistrat ou d’un pasteur ». Comme le montre l’historien Marc Perrenoud dans son analyse du film, le décalage est grand entre le dynamismedont font preuve, dans un contexte de crise, les associations liées au mouvement ouvrier et le manque d’imagination et de création cinématographique de l’oeuvre.

Pour en savoir plus je vous recommande l’article de Marc Perrenoud : Le Mouvement Ouvrier au risque du cinéma – Commentaires du film « La vie des ouvriers dans les Montagnes Neuchâteloises » – Musée neuchâtelois, 1995, n° 4, pp. 201-219.