Bulletin 53 / Décembre 2015

James Ferdinand de Pury et le Musée d'Ethnographie

par Roland Kaehr

Le Musée d’ethnographie de Neuchâtel est aujourd’hui mondialement connu. Mais on connaît moins l’histoire de celui qui l’a mis dans ses murs: James-Ferdinand de Pury, un Neuchâtelois «grand cru», qui fit fortune au son des sambas brésiliennes…

Pour tous les Neuchâtelois, le centre de la cité s’abrège en deux lettres: PP. Elles désignent la place où s’élève la statue de celui qui est reconnu comme le plus grand bienfaiteur de la ville, David de Pury. Portant le même patronyme sans faire partie de la même branche familiale, James-Ferdinand de Pury est un autre mécène moins connu dont la discrétion est soulignée par les rares documents qui le concernent. Une plaque à l’entrée du Musée d’ethnographie rappelant son souvenir, une pierre tombale dans le parc, un 
portrait photographique tardif et quelques lignes sur sa générosité dans une mince nécrologie du Messager boiteux pour l’an de grâce 1903 semblent être les seules traces de son inscription terrestre.

Quatrième fils, dans une famille qui en comptera cinq, du maire de la Côte, Charles Auguste, et de Sophie Marianne de Pourtalès, James de Pury était né en 1823. Il avait pour arrière-grand-père le célèbre Abram, compagnon de Jean-Jacques Rousseau lors de son séjour môtisan et auteur d’un faux retentissant, La Chronique des chanoines.

Quelles ont été les circonstances qui l’obligèrent à s’exiler? Fut-ce par atavisme? On l’ignore. Toujours est-il qu’en 1846, il s’embarqua pour travailler dans l’établissement fondé à Bahia par son oncle Auguste de Meuron.

En 1822, le Brésil avait proclamé son indépendance du Portugal et ses richesses faisaient miroiter de fabuleuses perspectives, parfois amèrement déçues. Plus heureux que les immigrants de Nova Friburgo en 1819, James de Pury réussit rapidement dans le négoce du tabac. Sans doute, dut-il même jouer quelque rôle insigne puisque l’empereur Pierre II le fit chevalier de la Rose du Brésil tropical.

A quarante ans, il épousait Augustine-Marie Bevilaqua, de vingt ans sa cadette, qui, cinq ans plus tard, lui donna une fille, Mathilde. Fortune faite, il songea à rentrer au pays. Il acheta un terrain, au milieu des vignes, qu’il fit arboriser et chargea l’architecte de  renom, Léo Châtelain, de lui construire une splendide villa; elle fut terminée en 1871/72.

Deux des projets non réalisés ont seuls été conservés, mais le bâtiment témoigne encore de la somptuosité de la demeure et du raffinement de ses aménagements: dallages de marbre, parquets luxueux, riches décorations de stucs, parois peintes en trompe-l’oeil, à  côté du chauffage hypocauste et de l’éclairage au gaz de ville.

On peut imaginer James de Pury, retiré des affaires en 1879 et servi par une nombreuse domesticité, organisant de grandioses réceptions et le porche accueillant le défilé des voitures des invités… Surtout, il sut se montrer charitable envers des institutions de  bienfaisance par des largesses qui faisaient courir les bruits les plus infondés sur l’étendue de sa fortune. 

S’il dota le Musée de peinture de plusieurs tableaux, sensibilisé peut-être à l’art par la vocation d’un neveu qui fut élève de Gleyre, il ne paraît pas avoir montré un grand intérêt ethnographique, ne rapportant que quelques babioles touristiques. Pourtant, le Musée doit à sa libéralité l’une de ses premières acquisitions onéreuses, celle d’un ivoire sculpté des Kongo du Zaïre.

Il eut la douleur de perdre sa fille unique en 1882 et c’est ainsi que, sa femme étant décédée en 1900, resté sans héritier, à sa mort le 15 mai 1902 il donna sa propriété pour y installer le «Musée ethnographique», conscient toutefois que celui-ci ne tarderait pas à se trouver à l’étroit.

De la cafeteria et de sa terrasse on redécouvre, après des années, le parc, sa cascatelle et, plus loin, le miroitement des eaux dont Gide écrivait: «Rien de moins sublime, de moins suisse, (…) que les bords modestes de ce lac», presque une mer à l’horizon si lointain parfois qu’il ne peut qu’inviter au voyage.