Bulletin 54 / Août 2016

Un infanticide prérévolutionnaire

par Germain Hausmann

Au cours de mes recherches sur les illégitimes, j’ai trouvé ce rapport qui rapporte de façon concise la dure réalité au XIXe siècle des femmes célibataires qui se trouvent enceintes et abandonnées de tous : tentation d’avorter, couches clandestines dans des conditions assez déplorables, infanticide plus ou moins avoué, longue peine de prison. Bref, c’était de bon vieux temps, comme nous l’a rappelé l’une de nos dernières conférencières, Madame Robert. (NB. L’orthographe a été modernisée)

Rapport au Conseil d’Etat

Monsieur le gouverneur et Messieurs,

Madeleine Landolf, âgée de 28 ans, de Büren zum Hoff, canton de Berne, doreuse, a été décrétée de prise de corps par la Cour de justice de La Chaux-de-Fonds sous la prévention d’être accouchée clandestinement et d’avoir jeté son enfant dans la fosse d’aisance de la maison dite de Bel-Air. Cette fille qui a été en fuite pendant plusieurs mois a été extradée par Berne.

Il résulte des preuves acquises en procédure et des aveux francs et naïfs de la détenue qu’à la date du 11 mai de cette année la détenue, qui était en pension chez une femme Jeanrenaud, est accouchée dans sa chambre (et cela vers 6 heures du matin) d’un enfant du  sexe féminin. L’enfant s’étant mis à crier, elle eut peur qu’on ne l’entendit; elle l’enveloppa avec l’arrière-faix (sans doute le placenta ?), et sans couper le cordon, dans un paquet de linge, puis sortit de sa chambre.

Une demi-heure après, étant rentrée, elle s’aperçut que son enfant était mort. Alors, elle l’enveloppa de nouveau et le plaça dans une cassette. Cependant, la femme Jeanrenaud, ainsi qu’Adèle Richard, s’aperçurent qu’il y avait de grandes et nombreuses taches de sang dans la maison, en conclurent qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire chez la fille Landolf et la renvoyèrent de la maison. 

En quittant son logement, la fille Landolf se rendit chez les mariés Gerbel pour lesquels elle travaillait. Madame Gerbel eut aussi quelques soupçons et, tout en réglant le compte de la prévenue et en lui donnant son congé, elle fit appeler le docteur Fasnacht qui vint en effet, mais ne constata pas ce qui s’était passé, n’ayant visité la fille Landolf que très superficiellement. Quoiqu’il en soit, la fille partit accompagnée d’une jeune fille qui lui avait été donnée par Madame Gerbel pour porter sa cassette, mais la jeune fille ne tarda pas à être renvoyée par Madeleine qui repris sa cassette, se rendit au cabaret de Bel-Air et jeta son enfant dans la fosse des lieux d’aisance où elle s’était introduite.

Cependant l’Autorité avait été prévenue. La gendarmerie se mit en quête et l’enfant fut retrouvé par le gendarme Fasnacht. L’autopsie a établi que l’enfant est né à terme, qu’il a vécu, qu’il était viable et enfin, que vu l’absence totale de lésions extérieures, il est probable que l’enfant est mort asphyxié et par l’absence de soins nécessaires, conclusions qui sont justifiées en tous points par les aveux de la détenue qui, du reste ne cherche point à s’excuser, si ce n’est en affirmant qu’elle n’a jamais eu l’idée de donner la mort à son enfant, qui, si elle a agi ainsi qu’elle l’a fait, c’est qu’elle était dans la détresse, qu’elle ne savait plus ce qu’elle faisait, qu’elle craignait d’être renvoyée, etc. etc.

Dans ces circonstances, il me parait que le cas de la fille Landolf rentre dans celui prévu par l’article 83 du projet de code pénal et qu’il pourrait être conclu contre elle à 15 ou 20 ans de prison avec travail forcé et aux frais.

Mais, avant de prendre ces conclusions, je dois fixer l’attention de Votre Excellence et de Vos Seigneuries sur les dires de l’accusée tendant à faire envisager un nommé Tissot, domicilié aux Cornes Moule et qui doit s’appeler Ami Louis comme lui ayant donné à plusieurs reprises des remèdes abortifs, dires qui sont confirmés en partie par la déposition du docteur Fasnacht et proposer au Conseil (avant de faire juger la fille Landolf) de demander un décret de prise de corps à fin d’examen contre Ami Louis Tissot. Si cette  opinion était admise, je ferais en même temps connaître une fouille à son domicile afin de saisir les remèdes dont parle la détenue.

Je suis avec respect
le maire de Valangin :
de Montmollin

Neuchâtel, 25 octobre 1847.