Bulletin 8-9 / Août 1997

Procès-verbal du 19 mars 1997

Conférence de M. Schlup : Biographies neuchâteloises

par Germain Hausmann

Sont présents : 18 personnes.
Se sont excusés : 2 personnes.

Notre président présente en quelques mots notre conférencier M. Schlup, directeur de la Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel, qui nous présentera aujourd’hui un ouvrage paru sous sa direction : le premier volume (un seul paru) des biographies neuchâteloises (Biographies neuchâteloises, Hauterive, 1996-…, 4 vol. [t. I : De saint Guillaume à la fin des Lumières]).

Présentation du projet

Après avoir remercié notre société de l’avoir invité, M. Schlup nous expose qu’il n’existait jusqu’ici qu’un dictionnaire biographique se rapportant à notre canton : celui de Jeanneret (Frédéric Alexandre Marie Jeanneret, Biographie neuchâteloise, continué par J. H. Bonhôte,le Locle 1863, 2 vol.). (volume 1 : / volume 2 : ). Cet ouvrage date, sa conception est ancienne, il utilise souvent des sources orales peu fiables, il ne concerne que l’Ancien Régime. Il convenait de le réactualiser. Beaucoup d’archives familiales sont actuellement accessibles. De nombreuses monographies d’excellente tenue ont désormais été publiées en particulier dans la revue régionale, le Musée neuchâtelois. A l’aube de l’an 2000, il s’agissait donc de faire le bilan des grandes personnalités qui ont marqué l’histoire locale ou internationale. Notre démarche différera de celle de nos prédécesseurs, puisque nous ne sélectionnerons 200 personnages qui seront sommairement présentés.

Deux recherches nous ont donné l’envie d’aborder ce travail gigantesque : tout d’abord, un projet helvétique auquel nous participons pour sa partie neuchâteloise se propose de mettre sur Internet les portraits scannés de tous les Suisses illustres. En outre, sous la direction de l’Institut neuchâtelois, nous entreprenons une anthologie des écrivains d’imagination ayant vécu dans notre canton dès 1848. En abordant ces deux travaux, nous avons constaté à quel point nous manquions d’un dictionnaire biographique moderne à propos de nos compatriotes.

Choix du contenu

Le premier problème qu’il nous a fallu résoudre fut celui du choix des personnalités traitées. Tout d’abord, qu’est-ce qu’il faut entendre par « neuchâtelois » ? Si l’on veut s’en tenir au sens juridique du terme, on ne retiendrait que les sujets neuchâtelois soit les communiers de l’une de nos jolies localités. Ce serait exclure de notre galerie de portraits des étrangers nés dans ce pays, mais non naturalisés (ce qui est relativement fréquent dans notre contrée où prime le droit du sang en matière de nationalité). Cela reviendrait à « oublier » des personnalités que nous considérons par habitude, instinctivement, comme des concitoyens, comme Agassiz, Mme de Charrière, etc., et qui ont laissé des marques profondes dans ce pays. Nous avons ainsi décidé d’admettre dans notre collection des personnalités assimilées à la suite d’un long séjour ou qui ont exercé une grande partie de leur activité dans notre pays.

Mais l’application de ce critère de l’enracinement recèle un piège : il relativise l’importance de la nationalité juridique et nous incite à laisser à d’autres le soin de parler de nos concitoyens qui ne se sont illustrés qu’hors de notre pays. Sommes-nous prêts à renoncer à Cendrars, à Guy de Pourtalès, au banquier Perregaux ? Autre point à déterminer : que faire d’étrangers qui se sont installés chez nous sans s’y enraciner vraiment, comme Agota Kristof (dont les écrits s’inspirent largement de sa Hongrie natale) ou Friedrich Durenmatt (dont les préoccupations ont toujours été fort éloignées de Neuchâtel).

Une fois ces premières catégories déterminées, il reste encore à faire le choix réel des personnages à retenir. Là, on constate que l’on entre vite dans un terrain mouvant où l’on a tôt fait de s’ensabler; car il n’existe pas d’instrument pour apprécier de l’importance, du rayonnement d’un personnage, et encore moins, pour procéder à des comparaisons entre personnalités.

Une première liste, élaborée grâce au Dictionnaire historique et biographique de la Suisse , nous permet de regrouper environ 500 noms. Il nous faut élaguer, nous éliminons les personnes qui n’ont eu qu’un rayonnement local et nous essayons d’établir un équilibre entre les différents domaines du savoir. On ne veut pas en effet qu’il n’y ait que des politiciens, ou que des horlogers, ou que des écrivains, etc. Le plus souvent, le choix est facile, mais il existe des cas où le flou existe. Tout dépend de notre perception de l’histoire et de l’importance que nous accordons à tel ou tel domaine de l’activité humaine.

Consignes aux auteurs

Cet ouvrage est destiné au grand public cultivé. Il s’agira dans notre esprit de faire une bonne vulgarisation. Nous donnons donc des consignes précises aux auteurs. Les textes doivent être lisibles, sans généalogie, sans énumération de dates et de titres, sans notes, avec une brève bibliographie si possible moderne. Chaque biographie ne devra pas dépasser 8000 signes. Une présentation dynamique accrochera le lecteur. Chaque notice sera chapeautée par une brève présentation du personnage. Ces directives, bien entendu, ont été plus ou moins bien respectées par nos écrivains, mais ont permis de donner un ton semblable à tout l’ouvrage malgré la diversité des auteurs.

Nous avions conçu cet ouvrage en trois volumes : le premier traitait de la période allant du Moyen Age à 1800, le deuxième (en cours d’élaboration) de 1800 à 1848, le troisième en 1848 à nos jours. Notre liste, pléthorique pour l’époque contemporaine, exige la confection d’un quatrième volume qui contiendra en plus des notices brèves à propos de personnages que nous avions dû écarter.

Pause

Au cours d’une pause dans cet exposé, certains de nos membres prennent la parole : M. Clerc propose de mettre toutes ces données sur Internet et aimerait une collection plus ouverte. M. Denis Borel se déclare d’accord pour établir une liste des Neuchâtelois devenus officiers généraux.

Contenu de l'ouvrage

Poursuivons maintenant en abordant le contenu de l’ouvrage : chaque fois que nous le pourrons, nous illustrerons notre conférence par la présentation d’ouvrages écrits ou faits par l’un des personnages dont nous avons écrit la biographie. Neuchâtel, personne ne s’en étonnera, compte beaucoup d’horlogers de génie; citons Abraham Louis BREGUET (1747-1823), Ferdinand BERTHOUD (1727-1807), Henri Louis JAQUET-DROZ (1752-1791), etc. Quelques marchands, industriels ou financiers marquent aussi notre histoire : Jacques Louis DE POURTALES (1722-1814), Jean Frédéric PERREGAUX (1744-1808). Les sciences naturelles sont illustrées par Laurent GARCIN (1683-1752), Jean Antoine D’IVERNOIS (1703-1765), Jean Frédéric DE CHAILLET (1747-1839). Mais notre contrée n’a donné que peu de savants purs (à l’exception du juriste Emer DE VATTEL (1714-1767)) ou d’artistes. Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Louis BOURGUET (1678-1742), Isabelle DE CHARRIERE (1740-1805) ne sont pas d’origine neuchâteloise, bien qu’ils aient marqué notre pays à des titres divers. Ne parlons pas des GIRARDET dont la production graphique n’est pas toujours originale. Ainsi la Bible illustrée par Abraham GIRARDET (1764-1823) s’inspire de bibles néerlandaises.

Antoine Marcourt

Notre contrée a donné naissance à quelques brillants polémistes : nous ne parlerons pas de MARAT (1743-1793), fort connu par ailleurs. Attardons-nous plutôt quelques instants sur Antoine MARCOURT (vers 1500-1561), l’auteur d’un des plus célèbres manifestes de la Réforme, les placards (que nous publions en page 10 ). La langue y est vive et le ton polémique, comme le démontre la description de la messe :

« le temps occupé en sonneries, urlements, chanteries, cérémonies, luminaires, encensements, desguisemens et telles manières de singeries, par lesquelles le paovre monde est … par ces loups ravissans mangé, rongé et dévoré ».

Dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534, ce tract est placardé (d’où son nom de « placard ») dans tous les quartiers de Paris et dans quelques grandes villes du royaume, par exemple à Ambroise sur la porte même de la chambre à coucher du Roi. Ce libelle crée la stupeur et braque les catholiques, même modérés, contre cette nouvelle secte protestante, manifestement très bien structurée et infiltrée jusque dans les milieux du pouvoir. La réaction sera immédiate, brutale et marquera le début de la mise à l’écart des Protestants.

Cet épisode était fort connu des historiens. Malheureusement, nous ne possédions jusqu’en 1943 aucun original de ce texte. Par chance, un relieur travaillant pour la Bibliothèque de Berne en retrouva un dans la reliure d’un livre de GALLIEN. Il n’en existe aujourd’hui que 5 ou 6 originaux à Berne, à Neuchâtel, à Lyon, etc.

Samuel Fauche

Autre figure que je voudrais rappeler : Samuel FAUCHE (1732-1803). Bien que n’ayant reçu qu’un instruction rudimentaire, il se lance dans l’édition. Son nom apparaît dans un premier ouvrage prestigieux : l’Encyclopédie de DIDEROT, mais il n’agit que comme prête-nom pour permettre aux éditeurs français de contourner les lois de leur pays. Cependant, FAUCHE a de l’ambition. Il n’hésite pas à se lancer dans des entreprises qui, à première vue, sont hors de sa portée de petit tâcheron de province. Il publie les œuvres de célèbres savants, Charles BONNET, Horace Bénédict DE SAUSSURE, de l’écrivain Louis Sébastien MERCIER, du polémiste MIRABEAU. Il s’agit souvent d’éditions originales, malheureusement trop souvent copiées, ce qui diminue ses bénéfices. Sa situation financière deviendra de plus en plus difficile et il vendra son affaire à ses fils, Abraham Louis et François.

Suite

Notre conférencier, pour terminer, nous parle de l’avenir immédiat, c’est-à-dire du deuxième volume des biographies. Il nous donne la liste des personnages qui y seront traités et nous invite à faire quelques suggestions à ce propos, ce que quelques-uns de nos membres se hasardent à faire.

Cette conférence se termine dans une discussion générale et par la consultation de plusieurs beaux ouvrages que notre conférencier, directeur de la Bibliothèque de Neuchâtel, s’est fait un plaisir de nous présenter ce soir.

La séance est levée à 22 heures.